Music-hall Colette, repenser le genre du biopic

Posted on Jan 9, 2025

Les biopics m’ennuient, pas dans le sens de barbant, mais parce que c’est souvent une façon de surfer sur la popularité d’une personnalité sans avoir à faire une proposition artistique. Pourtant j’adore : j’ai une fascination pour les grands de ce monde, comme un rêve d’enfant, j’ai toujours envie de savoir comment ils ont fait pour réussir, pour devenir connus, qui ils sont. Vouloir percer une sorte de mystère de la célébrité, c’est une idée naïve, comme si une clé de la fame existait. Et pourtant, les œuvres qui en parlent se reposent souvent sur le simple fait de raconter un moment de l’histoire d’un personnage sans apporter de plus-value. Moins précis qu’un documentaire, le biopic théâtral ou cinématographique met en scène la vie d’un personnage, ajoute une couche d’esthétique en assumant que trop rarement une vraie personnalité, là où proposer une véritable vision ferait de l’ombre au sujet dont il est question.

Le seul en scène de Cléo Senia nous embarque aux quatre coins du théâtre, retraçant les grandes étapes de la vie de Colette : amour, musique, écriture et liberté. L’espace est super bien maîtrisé, les chansons drôles et entraînantes, et les tenues, quoique simples, sont efficaces. Le spectacle joue avec la double personnalité exubérante de Colette et de la comédienne, qui nous amène, bon gré mal gré, dans l’enthousiasme et l’énergie. Je ne connais que très peu Colette, mais la pièce en dépeint une personne forte, pleine de vie et d’énergie, et arrive à remplir les deux fonctions d’un biopic : la première, assez générale dans l’art, qui est de faire passer une vision du monde, potentiellement à une époque donnée. Ici, on a une bonne vivante, fantasque, qui nous crie au visage d’aimer vivre, manger, jouer, écrire, partager. La deuxième serait de nous donner envie de nous intéresser davantage au personnage historique, de vouloir la lire. Ici, les deux sont parfaitement respectés.

Malgré tout, je trouve l’utilisation d’une deuxième Cléo sur écran barbante : je n’arrive pas à me laisser embarquer par ce procédé et je vois toujours une vidéo préenregistrée à la place d’une vraie interaction. De plus, la pièce laisse peu de place à l’interprétation : l’histoire nous est dictée sans marge pour se faire son propre avis. Pourtant, l’analyse du monde complexe de Colette s’y serait tout à fait prêtée. Prenons l’exemple de sa conception de la femme dans la société et de son refus de considérer le féminisme. Il y aurait là une opportunité d’ouverture pour réfléchir à ce que signifie cette dissonance dans la vision de Colette, devenue un symbole du mouvement malgré elle. Au lieu de cela, Léna Bréban nous expédie un constat en thèse-antithèse et passe à autre chose, comme pour empêcher le public, libre de son avis, d’éviter une contre-vérité. Alors que la vie de Colette, ses choix et son parcours exceptionnel sont autant une démonstration de son féminisme que ses œuvres.

Ironiquement, le moment de la pièce que j’ai trouvé le plus beau fut la fin, et cette danse en papillon, d’une délicatesse et d’une puissance géniales, inspirée de Loie Fuller, qui, tout en s’émancipant de la figure de Colette, garde son âme et sa beauté artistique.